« Big Badger Street

Le harcèlement sexiste et sexuel dans l’espace public

Harcèlement sexiste. Illustration de Morgane Maudet. Copyright

Historiquement présent depuis des siècles, et dans plusieurs cultures, plus spécifiquement en milieu urbain, le harcèlement de rue n'est défini pour la 1re fois qu'en 1981 par l’anthropologue américaine Micaela di Leonardo 1 :

« Il se produit lorsqu’un ou plusieurs inconnus accostent une ou plusieurs femmes […] dans un espace public […] Par des regards, des mots ou des gestes, l’homme affirme son droit à forcer l’attention de la femme, la définissant comme objet sexuel et lui imposant d’interagir avec lui. »

En France, l’anthropologue Chris Blache 2, spécialiste des questions d’égalité dans les milieux urbains (Genre et ville), souligne que face à ce qui constitue une atteinte à leur sécurité et à leur liberté de circuler dans l’espace public, les femmes agissent en conséquence, en adoptant des stratégies vestimentaires, stratégies de déplacement et stratégies d’attitude. En effet, si par rapport à d’autres types de violence, le harcèlement de rue puisse paraître relativement « banal », notons que :

  • il participe à l’autocensure des femmes via un profond sentiment d’insécurité ;
  • il rend l’espace public complètement inégalitaire ;
  • il dérive souvent vers l’agression sexuelle dans environ 31 % des cas (violence physique, attouchements, etc.) ;
  • il s’inscrit dans le continuum des violence sexiste. Or, c’est en sensibilisant sur les actes « banalisés » que l’on peut espérer faire reculer les crimes plus lourds.

Plusieurs sondages révèlent que plus de 80 % des femmes françaises interrogées ont été victimes de harcèlement/agression de rue dans un espace public (Ifop en 2018, Ipsos en 2020) 3,4.

La loi sur l’outrage sexiste, punissant les harceleurs d’une contravention et d’une amende, est votée en France en 2018. Elle est renforcée en 2023 (en cas de circonstances aggravantes). Quoi qu’il en soit, bien que les verbalisations pour outrage sexiste se multiplient, elle s’avère encore assez peu efficace. Cependant, même si moins de 5 % des victimes ont porté plainte, le bilan relatif aux outrages sexistes, nous révèle que 5 :

  • 91 % des victimes sont des femmes (le plus souvent jeunes : 17% mineures, 45% 18-30 ans), le reste des victimes concernant majoritairement des personnes queers.
  • 99 % des agresseurs sont des hommes.

Les évolutions de mentalité lentes, mais effectives, sont le fait du travail de sensibilisation d’institutions, d’artistes, de chercheur·euse·s, d’influenceur·euse·s, de mouvements et d’associations féministes et des minorités de genre.

___

Sources :

1  « Political Economy of Street Harassment », in AEGIS, Summer 1981.
2  Page Wikipédia dédiée à Chris Blache
3  IFOP - FEPS et Fondation Jean-Jaurès, 2019, Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail, PDF p.3
4  IPSOS - L'Oréal Paris, Hollaback! et Fondation des Femmes, 2019, Sondage international sur le harcèlement sexuel dans l’espace public, France
5  Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, 2023, La hausse des infractions enregistrées pour outrage sexiste se poursuit en 2022 mais à un rythme plus modéré, PDF p.1 | Ministère chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, 2021, Les outrages sexistes enregistrés par les services de sécurité en 2020, PDF p.4

___

haut de la page

Le harcèlement sexuel et les agissements sexistes au travail

Globalement, le harcèlement sexuel implique des actes répétés à connotation sexuelle ou sexiste portant atteinte à la dignité de la victime, et/ou une pression exercée sur la victime afin d’obtenir des faveurs de nature sexuelle 1.

À l’instar du harcèlement de rue, ce type d’agression sur le lieu de travail existe depuis longtemps et dans plusieurs cultures 2. Cependant, on doit sa reconnaissance juridique à l’avocate féministe Catharine MacKinnon suite à son rapport de 1979 3.

En France, ce délit a été introduit dans le code pénal en 1992 et n’a, dès lors, cessé d’être précisé. La notion d’agissements sexistes a été rajoutée en 2015, puis un article sur le harcèlement sexuel a été rédigé dans le code du travail en 2021 4. Aujourd’hui, l’employeur se doit d’effectuer la prévention contre le harcèlement sexuel. Ainsi, depuis janvier 2019, selon certaines circonstances, des référent·e·s harcèlement doivent être désigné·e·s à la fois par les entreprises et par les représentant·e·s du personnel.

Parmi les chiffres les plus récents, une enquête de l’Ifop (2018) indiquait que 1 femme sur 3 avouait avoir été harcelée/agressée sexuellement au travail au moins une fois dans sa vie 5. Le profil des victimes varie en fonction des enquêtes et des périodes, néanmoins, toutes les études démontrent que les femmes appartenant à des minorités sont toujours très affectées (lgbtq+, religion, ethnie...)
Le harcèlement est le fait de collègues, de clients, de fournisseurs (propos obscènes, attouchements...) En revanche, la pression pour obtenir une relation sexuelle est majoritairement proposée par le ou la supérieur·e hiérarchique (invitations déplacées, rapports contre embauche ou promotion). Les sondages indiquent rarement le genre des agresseur·euse·s. De manière générale, les études sur le sujet se basent sur des sondages assez anciens (plus de 5 ans), offrant une vision assez peu précise du phénomène à ce jour, notamment l'impact des référent·e·s sur le sujet en entreprise.

En outre, n’oublions pas que malgré quelques progrès, les femmes accèdent moins souvent aux postes les plus élevés et l’écart salarial est encore de 24 % en France 7 !!! Cet état de fait est, en soi, une forme de harcèlement silencieux...

Si le mouvement #MeToo a permis une certaine libération de la parole, force est de constater que les victimes portent rarement plainte. A ce sujet, une enquête de l’agence Qapa (entreprise acquise par Adecco en 2021), soulignait que seulement 4 % des femmes et 1 % des hommes victimes de harcèlement au travail déclaraient avoir passé ce cap 8. Absence de preuves, inquiétude quant à la réaction d’autrui, culpabilité et surtout banalisation du sexisme (sous-estimation de la gravité des actes par l’agresseur et/ou stratégie d’atténuation par la victime), ainsi que la peur de l’impact sur la carrière et la réputation...

___

Sources :

Code pénal, Article 222-33 (définition du harcèlement sexuel).
Rappelons que les femmes ont toujours travaillé : agricultrices, ouvrières, domestiques, commerçantes, artisanes, prostituées, etc. Le concept de « femme au foyer » – qui constitue aussi un travail en soi, étant lié à l’émergence des classes moyennes et bourgeoises au 19e siècle, en Occident. Référence : Les femmes ont toujours travaillé de l'historienne Sylvie Schweitzer, Editions Odile Jacob, 2002.
« Sexual Harassment of Working Women: A Case of Sex Discrimination », in Political Science Quarterly, Winter 1979-1980.
Code du travail, Article L1153-1 à 6.
IFOP - VieHealthy, Les françaises face au harcèlement au travail, entre méconnaissance et résignation, 2018. Etude que l'on peut compléter avec celle de l'IFOP pour la Fondation Jean Jaurès et le FEPS : l'Observatoire européen du sexisme et du harcèlement sexuel au travail, 2019.
Observatoire des inégalités, A travail égal, salaire égal ?, 2024. A compléter avec les données de l'INSEE : Écart de salaire entre femmes et hommes en 2022, 2024.
INSEE, Évolution des inégalités entre les femmes et les hommes : faut-il se réjouir ou se désoler ?, 2023.
Les données ne sont plus accessibles. Se référer à Travail : un an après, quel impact de #MeToo sur les relations femmes-hommes ? in Elle.fr, ou encore à Harcèlement sexuel et agissements sexistes, INRS, mise à jour de 2022.

___

haut de la page

Le terrible « effet du témoin » : comment y mettre fin ?

L’effet du témoin a été mis en exergue et étudié après l’agression, le viol et l’assassinat de Kitty Genovese, en 1964 à New York, dont les 38 témoins n’ont porté aucun secours, malgré les cris et les appels à l’aide de la jeune femme 1.

Bien que ce ne soit heureusement pas systématique, la majorité du temps, plus les témoins d’une scène d’agression sont nombreux, moins ils vont agir - surtout si la situation paraît ambiguë ou semble concerner un groupe social différent du leur.

Ce phénomène, étudié par les psychologues John Darley et Bibb Latané dès 1968 2, s’explique par rapport à :

  • la dilution de la responsabilité d’aider (plus on est nombreux, moins on se sent impliqué),
  • la peur du danger (évitement, voire déni, crainte d’être impliqué dans une situation pernicieuse),
  • le fait de ne pas savoir comment agir (se sentir impuissant),
  • l’appréhension du regard des autres faussant le jugement personnel (si personne ne fait rien, mais moi oui, peut-être que je me trompe ou peut-être que je serais seul·e),
  • le fait de ne pas se sentir concerner/être méfiant lorsque la victime appartient à un autre cercle social. En effet, on vient plus facilement en aide à des personnes proches, ou perçues comme proches.

Que l'on soit témoin ou victime, être sensibilisé⸱e permet de mieux gérer les situations critiques. C'est le cas pour le harcèlement sexiste et sexuel : nous pouvons tou⸱te⸱s agir.

___

Sources :

1  Meutre de Kitty Genovese, article de l'encyclopédie Wikipédia.
2  « Bystander intervention in emergencies: Diffusion of responsibility » in Journal of Personality and Social Psychology, 1968, p.377–383.

___

haut de la page

Comment réagir si vous êtes témoin ou victime ?

» Si vous êtes témoin, la formation Stand Up propose la méthode des 5D 1 :

  • Distrayez le harceleur en vous adressant à lui ou à la victime, en faisant semblant de la·le connaître par exemple.
  • Documentez (filmez ou photographiez la scène discrètement). Attention, films et photos doivent être donnés à la victime et ne peuvent pas être utilisés à d’autres fins.
  • Dirigez en demandant explicitement soit au harceleur d’arrêter, soit à la victime si elle a besoin d’aide.
  • Déléguez en sollicitant les autres témoins, des agents de sécurité, etc. Bien sûr, si la situation s'aggrave, contactez police-secours (17) ou le service d’urgence européen (112). Dans le cadre du travail, n'hésitez pas à vous adresser à votre référent·e « harcèlement sexuel », votre réprésentant·e du personnel, voire votre RH ou un·e supérieur·e.
  • Dialoguez avec la victime après les faits, afin de la rassurer et l’aider (notamment pour porter plainte).

Dans tous les cas, évaluez bien la situation afin de ne pas vous mettre en danger.

» Si vous êtes victime sur un lieu public, l'association Stop Harcèlement de Rue préconise, dans la mesure du possible 1 :

  • Ignorer : éloignez-vous de votre agresseur pour vous mettre en sécurité. Notons que des magasins et des restaurants ont adhéré au dispositif Où est Angela ? 3
  • Confronter : exprimez clairement votre désaccord et demandez à votre agresseur d'arrêter à haute voix afin d’attirer l’attention des éventuels témoins.
  • Interpeller : sollicitez de l'aide autour de vous, en interpellant les témoins individuellement.
  • Documenter : si vous le pouvez, vous pouvez filmer ou prendre des photos, notamment si vous souhaitez porter plainte.
  • En cas de danger : contactez police-secours (17) ou le service d’urgence européen (112).
  • En cas d'agression physique ou sexuelle : rendez-vous aux urgences médicales au plus vite pour constater les faits.

» Si vous êtes victime au travail, ne restez surtout pas isolée :

  • Face à votre agresseur, adoptez le même comportement que pour le harcèlement en espace public (5D).
  • Parlez-en avec un·e proche, ne gardez pas ça pour vous !
  • Contactez le·la référent·e « harcèlement sexuel » 3 et/ou le·la réprésentant·e du personnel.
  • Contactez votre responsable RH et/ou votre direction.
  • Contactez la médecine du travail.
  • Autres recours : associations d'aide, inspection du travail, avocat·e, police, etc.

» Dans tous les cas, n'hésitez pas à déposer plainte. Vous trouverez les démarches à effectuer sur le site Service-Public.fr. Des associations dédiées pourront vous soutenir : écoute, accompagnement, sensibilisation...

ASSOCIATIONS :

APPLICATIONS :

SAFE PLACES :

  • Plan Demandez Angela ? : les établissements safe-place sont identifiés par un sticker « Où est Angela ? ».
  • Etablissements sûrs répertoriés via Umay et The sorority (bars, restaurants, commerces, etc.)

___

Sources :

1  Stand Up : la formation pour apprendre à réagir face au harcèlement sexuel dans les lieux publics, Fondation des Femmes, 2021.
2  Je suis victime, que faire ?, Stop Harcèlement de rue.
3  Plan Angela, Site gouvernemental Arrêtons les violences, 2020.
4 Référents harcèlement sexuel : quelles missions ? Quels statuts ?, INRS, 2020.

___

haut de la page

Et dans le jeu vidéo ?

Ces 10 dernières années, via l’essor du mouvement #MeToo initié par Tarana Burke 1 (existant depuis 2007, mondialement connu depuis 2017), la parole des femmes et des minorités de genre — mais aussi d’hommes contraints par le modèle social patriarcal, se libère. Se faisant, elle dévoile le triste constat du sexisme ordinaire et d’une souffrance restée jusqu’alors silencieuse.

Dès lors, l’ensemble des médias narratifs et visuels s’empare du sujet et, bien que timide, initie un débat public autour des inégalités et des violences implicites. Un débat qui participe à une évolution collective des mentalités – certes très lente et excessivement fragile.

L’industrie du jeu vidéo, pourtant jeune, mais initialement créée par des hommes pour des hommes, semble avoir pris du retard face à ces considérations. En effet, l’univers vidéoludique reste encore très sexiste, malgré la quasi-parité actuelle entre joueuses et joueurs.
En 2020, seulement 35 % des femmes estimaient être bien représentées dans les jeux vidéo, selon l’association Women in Games. Seulement 18 % de personnages vidéoludidques sont féminins – ce qui reste assez peu – et pourtant cela amorce un progrès considérable sur ces dernières années (seulement 2 % en 2016) : on revient de loin ! 2
Les rares personnages genrés au féminin, ont des corps ou des attitudes hyper-sexualisées 3. On s'en rend largement compte en visualisant des vidéo où les skins de héros masculins ont été plaqués sur des modèles féminins (ci-dessous, Batman avec le déhanché de Catwoman, ou encore Revolver Ocelot de Metal Gear se dandinant voluptueusement sous la pluie à la place de Quiet, la femme assassin sexy de la série).

Batman-Catwoman swap Ocelot-Quiet swap

Heureusement, les jeux récents, des milieux indépendants jusqu'aux AAA, offrent aujourd’hui une plus grande diversité et une plus grande inclusivité, opérant ainsi un grand bon en avant. Nonobstant, les jeux spécifiquement féministes et inclusifs sont encore trop rares et, malgré une certaine notoriété, restent cantonnés à des sphères restreintes 4.

Au niveau professionnel, les femmes et les minorité de genre sont encore sous représentées dans cette industrie (14 % seulement de femmes en 2019, selon Women in Games, un chiffre heureusement en pleine évolution : 22 % en 2022 5.

Pourtant, de par sa popularité et sa capacité à impliquer la·le joueur·euse, le jeu vidéo pourrait s'avère pourtant un média formidable, tant pour accompagner les transformations qui sont en train de s’opérer dans l’industrie vidéoludique, que pour continuer à sensibiliser le public sur des sujets de société inclusifs.

___

Sources :

1  Portrait de Tarana J. Burke, Me Too Mouvement.
2  Évolution de la place des femmes dans le jeu vidéo : tout ce que vous devez savoir, Association Women in Games, 2024.
3  Femmes, minorités... Qui le jeu vidéo représente-t-il ?, France Culture, 2020.
4  Féminisme et jeux vidéo, Game Her, 2021.
5  Le jeu vidéo, un médium et une industrie de plus en plus mixte, AFJV et Women in Games France, 2022.

___

haut de la page

Le jeu Big Badger Street : empathique et engagé

Big Badger Street souhaite s’inscrire dans cette mouvance militante. Via une simulation à visée empathique, en vue subjective, le jeu nous invite à partager le harcèlement sexiste et sexuel supporté par un personnage genré femme dont on ne sait rien (pas de jugement de la part du·de la joueur·euse sur son apparence, sa catégorie socioprofessionnelle, son ethnie, etc.)

Dans la lignée de Behind every great one (DeconstrucTeam, ci-dessous à gauche) et de Dykie Street (D.I.Y.ke, ci-dessous à droite) - entre autres, il dénonce le stress éprouvé par les femmes dans un espace public et professionnel dominé par le sexisme ordinaire. Réalisé par une équipe inclusive, diversifiée et respectant la parité, Big Badger Street est un jeu de sensibilisation engagé.

Behind every great one (DeconstrucTeam) Dykie Street (D.I.Y.ke)

Empruntant les codes des jeux d'angoisse et du rpg, notre jeu est à la frontière entre le serious game et le jeu d'aventure. Soutenu par l'université de Lyon 2, le projet a pour vocation d'être GRATUIT afin de sensibiliser un large public autour de la thématique du harcèlement sexiste et sexuel.

Espérons, selon l’adage que les petits ruisseaux feront les grandes rivières.

Télécharger le jeu (zip)

Ecrit par Morgane Maudet le 1er juillet 2024

haut de la page